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COLD WIND

COLD WIND

Il pleut…
"I'm shipping up to Boston, Wo oh oh, I'm shipping up, to find my wooden leg!" nous chantons à tue-tête cet air vaguement irlandais en roulant au travers le déluge. Mais les Dropkick Murphy's n'ont vraiment d'Irlandais que leur nom. Je m'aperçois que je ne connais rien de cette contrée… Ils ont les cheveux roux, de la bière… Mais à part ça ? 

Après avoir passé des mois et parcouru des milliers de kilomètres au travers l'Australie, je fini par me rendre compte que nous étions capables de faire des heures de route chaque jour, chaque semaine pour découvrir cet immense pays, mais que je n'avais point encore exploré mon propre continent, ni même tous les recoins de notre beau pays… Il était donc temps pour moi de prendre de sages résolutions…

Aussi nous voilà, voguant vers l'inconnu… Emplis de cette sensation de liberté, de cette soif de découverte, de cet appétit d'aventure. Impatients d'assouvir notre curiosité.



Quelques heures plus tard, c'est avec plaisir que je me délectai de toutes ces saveurs nouvelles.
Le charme des devantures sculptées et peintes à la main des vieilles échoppes. L'odeur salée et grasse de la friture de poisson, le contact des embruns portés par le vent glacial. Mes lèvres frémirent lorsque je les plongeai dans la mousse épaisse et fraiche d'une bière noire. Les tireuses à l'effigie de chevaux et de harpes alignées le longs des comptoirs. Les bars sombres, éclairés seulement par la lueur tremblante de quelques bougies. Les tables faites de bois, marquées par les années, semblaient solides comme le temps. Un vieil homme assis sur une chaise centenaire jouant inlassablement un air de guitare, de flûte ou de violon. Tout ici semblait nous accueillir à bras ouverts.

 


L'Irlande est une terre de contrastes, à la fois chaleureuse et hostile. Comme si les hommes vivant là avaient cultivé l'art de se réchauffer le coeur pour pallier à la rudesse du climat. Musique, boissons, cuisine, aucun sens n'est en reste.
Mais qui n'aime pas en ces journées froides d'hiver, où la pluie tombe à l'horizontale, ces journées où nos yeux pleurent, où nos lèvres gercent, où nos nez coulent, qui n'aime pas rentrer se blottir auprès d'un bon feu de bois, manger du pain grillé et du miel en jouant au cartes ou au dés ?

Mais avant le réconfort viens l'effort. Aussi nous nous mîmes en route, arpentant les chemins les plus sinueux, les recoins les plus sombres, les sentiers les plus reculés. Nos yeux s'émerveillèrent de tant de belles choses, des collines verdoyantes où broute paisiblement le bétail malgré vents et marées, des lacs fouettés et balayés par les rafales, des monts usés par le temps et quelques arbres solitaires tenant compagnie à de sinistres ruines parsemant ce paysage bucolique. Et enfin des falaises aiguisées depuis toujours par l'érosion, faisant face à un océan puissant, ravageur et sauvage.



La quête des vagues fut plus difficile ici que dans bien des endroits du monde. Nos vies furent misent en péril, et notre courage à l'épreuve alors que nous cherchions ce que nous étions venu chercher. Nous dûmes affronter barrières électrifiées, canassons de combat, taureaux enragés, éboulements de falaises et bien d'autres dangers, desquels nous réchappâmes souvent avec chance, pour parfois une bien maigre récompense… La météo est peu clémente en ces lieux, et nous nous trouvâmes souvent face à un océan déchainé, des rochers acérés, des vagues immenses, des averses de crachin ou des vents à en décorner un buffle.
Et parfois la motivation des troupes fût dure à remonter sans un peu de baume au coeur… Unis face à l'adversité, c'est ensemble que nous noyions nos veines tentatives autour d'une bonne pinte...

Mais ne dit-on pas que la grandeur d'une victoire dépend de la difficulté du chemin qui nous y mène ? Aussi la récompense fut de taille, et nous fûmes gratifiés de joyeuses sessions entre amis, toujours seuls à l'eau face à l'immensité de l'océan. Nous nous sentions rassasiés, humbles, à notre place.
Nous fîmes malgré tout la rencontre de dauphins à nez de bouteille ainsi que de locaux plus amicaux les uns que les autres. Nous échangeâmes quelques mots et quelques coups de nageoires, ravis de voir que la population locale est tout aussi accueillante autour d'un bon verre que dans l'eau.

Petit à petit nous apprenions à connaitre ce pays, nous ne nous acharnions plus en de veines recherches de vagues lorsque la partie semblait perdue d'avance, et nous consacrâmes notre temps à arpenter le comté de long en large, escaladant les plus hauts sommets, flânant dans les villes et villages, rencontrant des gens attachants. Plus d'une fois nous nous perdîmes en des lieux fort reculés. Et face à la solitude, la désolation et la magie des lieux, l'envie de lever les bras au ciel et de nous époumoner nous submergea, incapables de contenir tant d'émotions dans de si petits corps…

Puis peu avant le départ, le soleil perça timidement au travers les nuages. Un léger vent de terre vint caresser la surface de l'eau alors que les étourneaux sortaient de leurs abris et se mettaient à piailler. L'Irlande nous offrait là notre ultime présent. Les vagues furent dantesques, les images se gravèrent pour toujours dans nos têtes. Nous fûmes envoutés par la magie de cet instant, où tout était dit. Un sentiment de plénitude nous envahit. Nous étions comblés, ivres de vie…

Puis le temps vint de plier bagages. La tête vidée, le coeur lourd, c'est déjà nostalgiques que nous rentrâmes…

Des amis, de la bière, de la musique, des vagues.

 

Texte & Photos : Gaetan Duque

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